Avec les divers confinements, le numérique a pris une nouvelle place au sein des familles. Comment protéger et accompagner nos enfants ? Anne Cordier, maîtresse de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication, nous éclaire sur notre rôle de parents, tout en nous déculpabilisant.
Les différents confinements ont-ils changé le rapport aux écrans au sein de la famille ?
Les questions se sont posées différemment. Il me semble que les adultes parlent autrement des pratiques des enfants. Pendant le confinement, on a pris conscience que les écrans pouvaient être créateurs de lien social. On a vu se développer des liens intrafamiliaux, les parents se sont plus intéressés à ce que faisaient les enfants sur les écrans.
Mais on a aussi entendu des parents culpabiliser parce que le temps que leurs enfants passaient devant un écran avait augmenté…
Eh bien je voudrais leur dire qu’ils ne sont pas de mauvais parents pour autant ! De manière générale, on tient à leur encontre un discours très culpabilisant. Ils ne feraient jamais ce qu’il faut ! Si un parent met son enfant devant un écran le temps qu’il prépare à manger pour toute la famille, où est le drame ?
C’est normal qu’on cherche des îlots d’isolement…
D’autant qu’il faut mesurer le caractère exceptionnel de la période que nous vivons. Nous avons un fonctionnement très différent de la normale. Nous sommes beaucoup les uns sur les autres, c’est normal qu’on cherche des îlots d’isolement. Et puis, avec le retour à l’école, les choses se sont déjà rééquilibrées.
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Est-ce que le critère du temps passé devant un écran est parlant ?
Il ne me semble pas très signifiant. Ce qui l’est davantage, c’est l’activité qui est réalisée. Rappelons quand même que ce critère du temps ne repose sur rien de scientifique. Il n’y a aucune étude qui nous dise que tant de temps passé provoque tel effet.
Si un parent me dit “mon enfant a joué tout l’après-midi avec son train électrique”, tout va bien parce que cela répond à notre image d’Épinal qui veut qu’il joue avec du concret. Mais déplacer un bonhomme sur un écran, c’est concret aussi !
Il ne s’agit pas de remplacer l’un par l’autre, mais ces activités sont complémentaires. Finalement, c’est le même discours que celui que nous tenaient nos parents sur la télé. Personnellement, je suis de la génération Loft Story, cela ne m’a pas empêchée de devenir prof !
Comment faire pour que, dans le rapport aux écrans, la relation parents/enfants soit apaisée ?
Il nous faut déjà entendre que les codes culturels et de socialisation ont évolué. Interdire ne sert à rien. Au contraire, cela poussera plutôt l’enfant à s’y précipiter. Quand un parent reproche à un enfant “c’est n’importe quoi ce que tu regardes, ce à quoi tu joues”, on crée un fossé d’incompréhension qui rompt la possibilité de dialogue. On a le droit d’avoir un temps de sidération. Mais ensuite, il faut demander : “Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que ça t’apporte ?”
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Mais le rôle du parent est aussi de protéger face à des contenus qui peuvent ne pas être adaptés…
Bien sûr. Et l’éducation, ce n’est pas juste “vas-y, épanouis-toi !” Le parent est aussi là comme garde-fou. Le processus de surveillance est essentiel. On peut dire à notre enfant que ce n’est pas pour l’embêter, mais qu’on est inquiet. On peut aussi lui demander son avis, comment il se prémunit contre ça. Et lui dire de ne pas hésiter à nous en parler s’il tombe sur un contenu pas adapté. En lui rappelant que ce n’est pas de sa faute. Car, quand cela survient, les enfants ont tendance à culpabiliser.
Le contrôle parental sur les écrans peut-il être la solution ?
Personnellement, je n’y suis pas favorable, si la démarche n’est pas expliquée. Il faut éclairer l’enfant sur le comment et le pourquoi.
La question des écrans peut aussi constituer un point de crispation entre les parents…
Oui car elle éprouve notre rapport à la parentalité, à notre propre enfance. Elle cristallise le “être ensemble” entre le “je” et le “nous”. Dans les études, on voit d’ailleurs que ce sont souvent les mères qui prennent la charge des règles à mettre en place et à appliquer. Il y a vraiment un enjeu genré autour de cette question.
Selon vous, il convient de reconsidérer le regard que nous, adultes, portons sur les écrans ?
Oui, il nous faut apprendre à considérer ces activités comme aussi importantes que celles de la “vraie vie”. Si votre enfant perd un match de foot, vous allez le consoler. Eh bien si ce match se déroule sur un écran, il nous faut aussi prendre sa déception en charge car l’émotion n’en est pas moins réelle. Il nous faut considérer ces activités sur écran comme faisant partie de leur univers.
Propos recueillis par Joséphine Lebard
© Bayard jeunesse / Tubereach 2020
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