Loin d’avoir un discours culpabilisant sur les écrans, Michael Stora, psychologue, psychanalyste et fondateur de l’observatoire des mondes numériques en sciences humaines, nous explique que les écrans peuvent devenir les alliés des parents et non une source de conflit.

 

Les parents se sentent souvent pris au dépourvu face à leurs enfants qui réclament des écrans, pour vous, ce phénomène n’est pas nouveau, pourquoi ?

Nous vivons avec des écrans depuis 3 générations. Et déjà l’écran de télévision était considéré comme un enjeu d’autorité ou de partage. À l’époque, on connaissait tous des parents qui avaient totalement interdit la télévision dans leur foyer. Avec l’avènement des nouveaux écrans, des jeux vidéos, d’Internet ou des réseaux sociaux, de nombreux parents se sentent débordés, voire épuisés. Car ces parents, qui sont eux-mêmes consommateurs d’écrans, veulent donner une image de parent idéal et aimant où l’enfant trouve sa place pour s’épanouir. Mais le plus souvent, les parents se retrouvent dans une situation paradoxale, avec d’un côté tous les écrans qui se trouvent dans leur foyer et de l’autre toute une cohorte de psy, d’addictologues qui ont adopté une position quasi moralisatrice envers les écrans. Ce qui a pour effet de renforcer le sentiment de confusion et de culpabilité chez ces parents.

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Est-ce légitime de se sentir coupable quand son enfant utilise un écran ?

La culpabilité est notre pire ennemi. Aujourd’hui, les parents se sentent coupables quand un enfant s’ennuie ou quand un enfant pleure. Ils ne le supportent pas car ils sont renvoyés à leurs propres défaillances. Le parent coupable va souvent accuser l’écran d’être à l’origine des problèmes chez l’enfant. Mais quand un enfant réclame un écran au mauvais moment, le parent est provoqué dans sa capacité à mettre des limites. D’ailleurs mon expertise clinique me montre que, quand des parents viennent pour ce type de soucis, au bout d’un moment, nous ne parlons plus du tout d’écran mais de capacité à gérer l’autorité ou à être un parent qui donne du sens à ce qui fait sa parentalité. Accuser l’écran est un faux débat. Il faut plutôt interroger le contexte dans lequel les écrans sont regardés.

Accuser l’écran est un faux débat. Il faut plutôt interroger le contexte dans lequel les écrans sont regardés.

Comment doivent se comporter les parents pour faire de l’écran un allié ?

Il y a quelques années une étude e-enfance a montré que 70% des parents ne savent pas ce que font leurs enfants sur Internet. Pour transformer les écrans en allié dans la dynamique familiale, le mieux est de les utiliser comme outils de médiation ou de partage. Par exemple, quand un ado veut nous montrer une vidéo Youtube, on peut prendre le temps de la regarder avec lui, d’en parler et même de lui montrer à notre tour une vidéo qui peut lui plaire. Un échange peut se créer autour de l’écran.

Pour transformer les écrans en allié dans la dynamique familiale, le mieux est de les utiliser comme outils de médiation ou de partage.

Quels conseils donneriez-vous aux parents qui veulent tenter l’expérience ?

Les conseils du psy que je suis sont tous contre-productifs. Car, si je donne un conseil, les parents se retrouvent alors dans une position infantile. Alors qu’au fond, nous devons les aider à être des parents dans leurs prises de décisions. Je n’ai donc aucun conseil à donner à part celui de partager les écrans, sans être dans la surveillance. Faites l’expérience. Plus l’interdit apparaît sans fondement, et plus les enfants vont transgresser. Plus les parents s’inquiètent et plus les enfants vont avoir une conduite à risque. Mon expérience clinique m’a montré que les parents commencent à s’apaiser quand ils voient que l’écran n’est pas la cause de leurs problèmes mais qu’il s’agit simplement d’un symptôme.

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Pourtant, les parents ne doivent-ils pas encourager les enfants à interagir avec le monde réel ?

Les deux ne sont pas incompatibles. Le virtuel est là pour enrichir le réel. Si vous ne savez pas quoi faire ce week-end, des sites peuvent vous proposer des sorties. Avant les jeux vidéos, il y avait cette même crainte mais elle concernait la lecture et la télévision. Et on s’est rendu compte qu’on pouvait lire et aussi regarder la télé. Si on cherche à comparer le virtuel et le réel pour déterminer ce qui serait mieux pour le développement ou l’éducation des enfants, on tombe forcément dans un discours idéologique. Je ne pense pas le jeu vidéo comme un espace d’aliénation. Il y a 35 millions de joueurs en France, ce serait méprisant pour eux. Evitons de tomber dans les clichés et la facilité. Les messages faciles sont ceux qui font peur, ceux qui donnent des normes. Dans cette société où l’on veut tout baliser, je pense qu’il est important de faire à nouveau confiance aux parents.

Propos recueilli par Norédine Benazdia