Pendant le confinement, nos enfants ont passé beaucoup de temps sur les différents écrans du foyer familial. Faut-il s’en inquiéter ? Ou au contraire percevoir des effets positifs dans l’usage (modéré) du numérique ? Que faire après le confinement ? Pour répondre à vos questions, nous avons rencontré Serge Tisseron, célèbre psychiatre, docteur en psychologie et fondateur des balises 3-6-9-12 

Bonjour Monsieur Tisseron, vous êtes psychiatre, docteur en Psychologie et fondateur des balises 3-6-9-12. Pourrions nous revenir dans un premier temps sur ces fameuses balises (3-6-9-12) ?

Serge Tisseron : Ces chiffres vont rappeler à beaucoup de parents des moments importants de la scolarité de leur enfant :

  • 3 ans, la maternelle ;
  • 6 ans, l’élémentaire ;
  • 9 ans, l’âge où l’enfant sait à peu près lire et écrire, il devient très curieux d’Internet ;
  • 12 ans, l’âge où l’enfant trouve ses repères au collège.

L’idée de ces balises est très simple, c’est de se caler sur ces âges pour préconiser des conseils aux parents sur le type d’écran utilisé et les accompagnements souhaitables.

  • Avant 3 ans, les écrans ne sont pas vraiment nécessaires. Ce qui est important c’est la relation.  
  • Entre 3 et 6 ans, il faut fixer un temps d’écran, plutôt une tranche dans la journée, qui oblige l’enfant à attendre. Varier les écrans. Parler avec l’enfant de ce qu’il voit sur les écrans, de ce qu’il fait avec eux.  
  • À partir de 6 ans, commencer à parler des pièges d’internet, d’anticiper, et puis continuer cette éducation bien audelà de 12 ans.  

L’idée c’est de pratiquer l’alternance, entre les activités avec écran et sans écran. Accompagner les enfants dans la découverte des écrans, puis leur apprendre l’auto-régulation, en les obligeant à attendre leur temps d’écran quotidien.

On ne grignote pas toute la journée, on ne se précipite pas sur les écrans à tous moments. 

Vous allez me dire, c’est plus facile en période habituelle qu’en période de confinement …

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Oui… les enfants sont confinés à la maison depuis 5 semaines maintenant {20 avril 2020}. Ils passent du temps devant les écrans, notamment parce qu’il y a la continuité pédagogique. Faut-il s’en inquiéter ?

Serge Tisseron : Il faut bien comprendre que c’est une période exceptionnelle et que c’est d’abord la première chose à dire aux enfants. Ils le comprennent d’ailleurs et ils le voient bien. Surtout pour les enfants dont les parents sont en télétravail. C’est une période exceptionnelle pour eux et pour leurs parents. Il faut leur expliquer que les écrans sont des outils de loisirs mais aussi des outils de travail et profiter de l’occasion pour leur expliquer quels métiers font leurs parents.  

Je rappelle les trois principes que je vous évoquais tout à l’heure :  

  1. Alterner les activités ;  
  2. Accompagner les enfants ;
  3. Apprendre l’auto-régulation.  

Les enfants ont plus de temps d’écran. Il faut continuer de privilégier les écrans interactifs. On peut également jouer avec ses enfants de temps en temps ou regarder ensemble un long métrage. Pour les tout-petits éviter le journal télévisé, et plus encore l’information en continu.

Il faut continuer à être très exigeant sur deux éléments que nous mettons toujours en avant dans les balises 3-6-9-12:

  • Eviter des écrans pendant les repas, voire interdire les écrans pendant les repas. Les repas pris ensemble sans tablette, sans télévision, et sans smartphone.
  • Interdire les écrans à partir d’une certaine heure le soir. Une heure fixée ensemble qui peut être 21h/22h/23h… mais faire en sorte qu’il y ait une sorte de « couvre-feu des écrans » à partir d’une certaine heure.

Le fait qu’il y ait davantage d’écran la journée ne veut pas dire qu’il faut lâcher sur ces deux éléments fondamentaux : pas d’écran pendant les repas et pas d’écran pendant une certaine heure le soir. 

Cela oblige évidemment à faire un emploi du temps en temps de confinement. Il faut le faire ensemble, essayer de le respecter ensemble. Parents comme enfants.

Peut-on trouver  un usage bénéfique des écrans en temps de confinement ?

Serge Tisseron : Il faut bien comprendre que l’utilisation que chacun fait des écrans dans sa période de confinement est très liée à l’usage qu’il en faisait avant.

Les gens qui avaient l’habitude, avant le confinement, d’utiliser les écrans pour fuir les difficultés, pour penser à autre chose qu’à leurs problèmes, il est probable qu’ils continuent à faire pareil. Les familles qui utilisaient les écrans pour regarder des choses ensemble, en parler ensemble,  le font probablement plus qu’avant.

Mais c’est évidemment aussi l’occasion de prendre de nouvelles habitudes. Le fait que nous soyons en période de confinement c’est l’occasion d’aller explorer des types d’écran que l’on ne connaissait pas.

Il y a en ce moment des offres gratuites qui existent et qui peuvent permettre à vos enfants de découvrir des activités qu’ils ignoraient, comme visiter un musée, faire une visite guidée autour de certains tableaux , utiliser un coach pour faire une activité sportive, pour faire de la danse, du yoga, etc. Evidemment, cette curiosité se fait d’autant mieux qu’il y avait déjà avant le confinement une certaine distance par rapport aux écrans.  

Ce qu’on peut surtout craindre c’est que le confinement actuel soit un formidable accélérateur des inégalités d’activités sur écran dans les familles, et finalement des inégalités sociales.

Effectivement, ça pose des questions. Et justement par rapport à tout ce que vous venez de dire, une fois le confinement terminé, est-ce que vous pensez que cela va engendrer durablement de nouveaux rapports aux écrans ?

Serge Tisseron : Ceux qui auront pris des bonnes habitudes pendant la période de confinement vont évidemment être enclins à essayer de les maintenir après. Par exemple, ceux qui ont décidé qu’il n’y avait pas d’écrans pendant les repas, n’auront pas trop de mal à garder cette consigne après le confinement.

En revanche ceux qui n’auront pas pris de distance par rapport aux écrans pendant le confinement, qui auront utilisé massivement les écrans, risquent d’avoir de la peine à se remettre à un rythme normal.

Encore une fois, on ne peut pas penser l’après-confinement, si on ne pense pas l’avant-confinement. Les familles qui n’avaient pas vraiment pris du recul avant, vont avoir de la difficulté à le prendre en période de confinement. Surtout s’il y a des enfants et qu’il est très chronophage de les accompagner dans leurs activités scolaires. Pour les familles qui ont fixé un cadre, il faudra continuer à respecter les acquis qui ont été obtenus pendant la période de confinement.

Entretien réalisé en partenariat avec l’AGEEM (Association des Enseignants d’Ecoles Maternelles). La suite la semaine prochaine sur le déconfinement et le retour à l’école.

 

Crédits de l’illustration : Marguerite de Livron