Deuxième volet de notre entretien avec le psychiatre Serge Tisseron, fondateur de l’association 3-6-9-12, sur le thème du retour à l’école post-confinement. Comment recréer du lien avec les élèves ? Comment réapprendre le vivre ensemble et éviter les traumatismes liés à ce que chacun a vécu individuellement ?

La rentrée à l’école sera progressive. Comment voyez-vous le retour en classe  ?

Il est important de faire parler les enfants de ce qu’ils ont vécu. Ce partage va leur permettre de recréer des liens entre eux. Les grandes personnes ont pu rester en contact entre elles à travers les réseaux sociaux. Ce n’est pas valable pour les plus petits et ils auront perdu cette familiarité de proximité.

Ils vont se retrouver d’abord dans l’enthousiasme, puis se sentir ensuite tout bizarres. Surtout si les gestes de distanciation sont maintenus. Certains enfants auront envie de s’embrasser, de se sauter dessus. Donc, si l’enseignant est obligé de dire « attention », « on ne se touche pas trop », « on ne s’embrasse pas », ils vont être tout perdus.

La première chose à faire va être de leur dire : « On se retrouve ensemble après cette période très très difficile, pour vos parents, pour vous, pour nous les enseignants. Ca a été vraiment très compliqué pour tout le monde. On est contents que cela commence à se terminer. Ce n’est pas tout à fait terminé mais ça commence… »

Alors comment réapprendre à vivre ensemble ?

En prenant le temps de parler de ce qu’on a vécu pendant le confinement. Proposer une sorte de nouveau rituel, une fois par semaine par exemple, pour que les enfants parlent un peu de ce qu’ils ont vu ou découvert, par exemple sur les écrans.

« Peut-être qu’il y en a parmi vous qui ont découvert de nouvelles activités, des nouveaux dessins animés, des jeux sur internet ? » Recréer du lien, à travers la découverte d’un dessin animé ou à travers des expériences communes, vécues chacun de leur côté, va les aider, tous, individuellement.

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Parler de soi, c’est souvent compliqué et l’institution scolaire n’est pas forcément le lieu destiné à recueillir ces discours sur soi. En revanche l’institution scolaire est tout à fait habilitée à permettre aux enfants de prendre du recul par rapport aux écrans, en parlant de ce qu’ils ont vu sur les écrans et de ce qu’ils ont fait avec eux. 

Ce qu’on peut espérer de mieux c’est que les enfants acquièrent la capacité de raconter, de se raconter, ce qui est quand même un élément majeur à la fois de la socialisation et de la réussite sociale.

 Comment accueillir la parole de l’enfant ?

En la leur donnant ! Les enfants vont arriver à l’école en se disant : « Ca y est, l’école a repris et on va écouter le maître ou la maîtresse ». Parmi les enfants qui ne se sont pas vus pendant deux mois, beaucoup vont se retrouver comme des étrangers.

C’est l’occasion de leur dire : « Vous savez, il s’est passé quelque chose d’incroyable. On a été confinés chez nous, tout le monde, pendant deux mois. Et on ne va peut-être pas recommencer comme d’habitude. On va essayer d’abord de mieux se rencontrer. » 

Pour certains enfants, le confinement aura été deux mois de vacances magnifiques dans la maison de campagne des parents. Et puis pour d’autres ça aura été deux mois horribles, avec des parents déprimés, violents, etc…

Dans certaines familles, la vie aura été très dure. Il ne faut pas oublier qu’il y a des enfants qui ne font qu’un seul repas par jour, ou sans dramatiser, leur seul bon repas par jour c’est celui de la cantine. Certains enfants auront vu des parents très occupés ou très angoissés et se seront remplis de leur angoisse.

L’angoisse, la dépression, la stigmatisation d’autrui, la colère, tout ça va exister aussi chez les enfants.

Comment recréer un groupe ?

Il va être important que l’enseignant ait à cœur de créer une dynamique de classe, exactement comme quand il accueille sa classe en septembre. Il va falloir repartir dans des activités collectives qui permettent aux enfants de renouer du lien petit à petit, d’échanger, de se venir en aide.

On ne peut pas recommencer la classe en disant : « Les enfants on s’est quittés, vous vous souvenez, sur apprendre à compter… revenons là où on en était ». Non, ce serait une catastrophe ! Les enfants vont arriver avec beaucoup trop d’expériences lourdes pour que l’école puisse reprendre simplement, comme avant. 

Cette période a montré que ce qui est fondamental, c’est la possibilité d’être ensemble et de faire ensemble.

Beaucoup d’enseignants le savent mais sont souvent soumis au poids des notes, à la contrainte des programmes. Dans beaucoup d’établissements, le travail seul est privilégié par rapport au travail de groupe. L’enseignant dit que si on note le groupe c’est comme si on notait le meilleur, celui qui a fait tout le boulot tout seul. Peut être, mais en même temps, quel formidable levier de socialisation !

Les grandes vacances qui arrivent vont-elles être une nouvelle épreuve ?

Beaucoup de gens ne vont pas partir. Pour éviter de prendre des risques, les gens ne vont pas louer, ne vont pas aller à l’hôtel. Ceux qui ont une maison de campagne familiale seront les grands bénéficiaires de ces vacances. Pour les autres ça va être très très difficile. Pour la majorité des gens donc.  

Si ce travail de distance psychologique par rapport a ce qui a été vécu n’est pas mené par les enseignants dans les quelques semaines de reprise des cours, il ne sera pas mené par certains parents pendant les vacances. Et on retrouvera en septembre des enfants dont on ne comprendra pas pourquoi ils sont devenus imperméables aux apprentissages. On retrouvera des enfants qui auront cumulé les traumatismes à la rentrée.

C’est vraiment une occasion exceptionnelle pour les enseignants, de récréer du lien entre tous ces enfants, qui auront vécu des choses si différentes. 

Habituellement ce sont les parents qui viennent à l’école. Là les enseignants sont allés un peu à la maison. Il y a un lien qui s’est tissé entre les enseignants et les familles, comment le faire perdurer ?

Peut être en faisant en sorte que l’enseignant retrouve régulièrement les parents, à travers les mêmes outils. Avec évidemment une réserve, il faudra fixer un cadre. Il n’est pas question que chaque famille puisse contacter par internet n’importe quel enseignant, à n’importe quel moment. Donc il va falloir inventer un nouveau cadre pour que la découverte de l’utilité de l’outil internet puisse s’installer dans la vie, entre les enseignants et les parents. 

Entretien réalisé en partenariat avec l’AGEEM (Association des Enseignants d’Ecoles Maternelles).