Si les écrans ne constituent pas en eux-mêmes une pédagogie, ils se retrouvent bon gré mal gré au cœur des enjeux pédagogiques du futur. Pour comprendre comment ils peuvent être utiles, nous avons interrogé Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement à l’université de Paris et directeur du LaPsyDÉ au CNRS.

Avant le confinement, les écrans étaient souvent associés aux loisirs et non à l’apprentissage, pourquoi ?

Si l’on fait abstraction des serious games, on a longtemps considéré que le numérique n’était pas utile pour l’apprentissage. Alors que l’on sait que le jeu est un formidable outil.

Le jeu vidéo exerce les mécanismes impliqués dans les apprentissages.

Aujourd’hui, les travaux de Daphné Bavelier à l’université de Genève, en Suisse, tendent à démontrer que le jeu vidéo exerce les mécanismes impliqués dans les apprentissages. En bref, il aiderait les élèves à apprendre à apprendre. Et c’est un peu le Graal de la pédagogie.

Comment se traduit cette amélioration de l’apprentissage ?

Les joueurs de jeux vidéo développent leurs capacités d’apprentissage via ces jeux et ces capacités se transfèrent dans d’autres domaines. Non seulement ils améliorent leur capacité attentionnelle, mais très probablement ils développent des capacités qui leur permettent d’apprendre beaucoup plus vite que les autres dans une nouvelle tâche.

Quel facteur permet de devenir des super apprenants ? Quelle est la variable ? Est-ce la motivation ? Le caractère ludique du jeu ? Est-ce l’ajustement en temps réel de la difficulté du jeu en fonction des performances du joueur ? C’est certainement tout ça en même temps. Ce sont toutes ces composantes qui créent une situation où le joueur s’entraîne à apprendre.

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Avez-vous un exemple concret où le numérique permet d’améliorer les apprentissages ?

Aujourd’hui, 15% des enfants éprouvent des difficultés en lecture, sans compter les dyslexiques. Irène Altarelli, au laboratoire, en partenariat avec une équipe italienne, a mis en place un protocole qui a été validé sur 150 enfants en Italie.

Nous avons demandé à ces enfants de jouer sur des tablettes ou des ordinateurs à des jeux. Ils devaient focaliser leur attention sur les informations importantes d’une scène visuelle, mémoriser pendant quelques dizaines de secondes des informations présentes dans une image ou apprendre à résister à des automatismes moteurs.

Cette étude a montré qu’en entraînant le cerveau sur ces fonctions, on observe des effets positifs sur les capacités attentionnelles et de lecture qui se maintiennent six mois après l’arrêt du protocole.

Comment peut-on transférer les compétences développées par le jeu aux apprentissages en classe ?

Le jeu est un point de départ et il ne suffit pas. En jouant, les enfants développent des mécanismes importants pour les apprentissages mais il est important de faire le lien entre les deux activités. Par exemple, dans certains jeux, il faut résister à certains automatismes comme ne pas appuyer sur un bouton, ou ne pas prononcer certains mots pour définir une chose.

Il est possible de faire le lien entre cette compétence que vous avez entraînée de manière ludique et les apprentissages en classe, que ce soit en maths ou en grammaire. De nombreux enfants vont écrire la phrase “Je les aspergeS” avec un -s parce qu’ils ont appris qu’il fallait marquer le pluriel au mot qui suit “les”. Il s’agit d’un automatisme auquel il faut pourtant résister et qu’on peut entraîner via le jeu.

Que retenir du confinement ?

Dans un certain nombre de cas, cette crise a pu montrer que le numérique peut être utile pour accompagner certains apprentissages d’enfants. Mais, cela ne signifie pas qu’il faut remplacer les profs par des robots. Ils sont indispensables. D’ailleurs, l’école ne se limite pas à l’apprentissage des fondamentaux. Elle permet aussi d’acquérir des compétences socio-émotionnelles.

Bien utilisé, le numérique pourrait améliorer l’apprentissage de ceux qui ont des difficultés.

L’enjeu va être de ne pas oublier la force du numérique pour les apprentissages. Et je pense particulièrement à la différenciation pédagogique. Bien utilisé, le numérique pourrait améliorer l’apprentissage de ceux qui ont des difficultés.

Propos recueillis par Norédine Benazdia