Béatrice Fontanel est l’auteure de Promenades imaginaires, le podcast du musée d’Orsay dédié aux enfants : treize récits imaginés à partir de tableaux du XIXe siècle (Auguste Renoir, Berthe Morisot, Edgar Degas…). Nous l’avons interrogée pour en savoir plus sur la genèse et l’ambition de ce projet, au résultat tout en finesse, pour les yeux et les oreilles !

Comment est né le projet des Promenades imaginaires ?

C’est Eric Le Ray, fondateur de Création Collective, qui a eu cette idée avec le musée d’Orsay, de proposer aux enfants et à leurs parents des podcasts uniques : des histoires de fiction élaborées à partir de tableaux célèbres du musée, et racontées par de merveilleux comédiens dont Ariane Ascaride par exemple. Mais elles peuvent s’écouter sans même savoir qu’il s’agit de peintures.

C’est amusant de penser qu’elles peuvent fonctionner de manière autonome, d’un point de vue littéraire, poétique avec, à chaque fois, un jeune narrateur ou une narratrice, qui vous emporte dans un récit. L’auditeur peut alors imaginer l’histoire à sa façon. Puis, si on lui montre les tableaux sur le site du musée, ou s’il les découvre dans le livre adapté des Promenades imaginaires, Toute une histoire dans un tableau, publié chez Gallimard jeunesse, ou encore s’il a la chance de visiter le musée d’Orsay, il découvrira, éberlué, que l’histoire est entièrement connectée à de nombreux de détails de ces chefs d’œuvre. Enfin, dans son lit le soir, il pourra la réécouter, en scrutant l’œuvre ou même… les yeux fermés, en tentant de recomposer la toile de mémoire.

Ces trois temps, ces va-et-vient fertiles, justifient le beau titre Promenades imaginaires choisi par Eric Le Ray. Les enfants développeront un lien particulier, je pense, avec ces tableaux.

Sur quels critères avez-vous choisi les 13 œuvres du Musée d’Orsay qui vous ont servi d’inspiration ?

Il a fallu choisir des toiles dont les thèmes séduisent les enfants (un spectacle de cirque, une chasse aux papillons, des danseuses de l’opéra) avec, de préférence, beaucoup de détails à observer et, quelque part, un enfant assez caché dans la composition, qui se révèlera être le narrateur de l’histoire. Ce doit être comme un jeu avec des indices qui se dévoilent peu à peu. En écoutant attentivement l’histoire, l’enfant doit deviner qui nous raconte l’histoire. Il fallait aussi choisir des tableaux qui soient visibles dans la collection permanente et qui ne partent pas à l’étranger pour des expositions.

Les histoires que vous avez écrites sont-elles basées sur des faits réels ou sont-elles totalement fictives?

Le musée d’Orsay souhaitait des histoires de fiction mais qui, de manière presque subliminale, fassent découvrir l’œuvre, et aussi le contexte historique, la manière de travailler de l’artiste, sa manière de voir le monde. C’était un défi, un casse-tête chinois, mais c’était justement ce qui était excitant. Ne pas partir dans le fiction pure, mais que tout soit ancré dans le réel de l’époque, surtout être juste, pour approcher au plus près du processus de création du peintre… l’air de rien.

J’ai dû beaucoup me documenter, lire au long cours : la correspondance de ces artistes, Edgar Degas, Berthe Morisot, par exemple, ou un roman autobiographique de Félix Vallotton, le journal de Julie Manet (la fille de Berte Morisot), les souvenirs de certains modèles de ces peintres… Il fallait rendre les histoires vivantes, incarnée, fines…

Quelle est la place de l’enfant dans ces récits ?

Cela fait 35 ans que j’écris pour les enfants (et les adultes aussi). Je les rencontre souvent dans les écoles, les médiathèques, je les observe, je les écoute, je leur pose des questions, je leur montre beaucoup d’iconographie (de l’enluminure médiévale aux toiles abstraites de Gerhard Richter), je suis sensible à leurs chagrins, à leurs frustrations, à leur côté fantasque et drôle…

J’ai tenté de choisir des œuvres qui pouvaient résonner en eux : la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur, avec Le Berceau de Berthe Morisot, un beau-père ou une belle-mère pas tellement appréciés avec Le Dîner, effet de lampe, de Félix Vallotton, la colère de ne pas pouvoir faire ce que l’on veut, lorsque l’on est encore un enfant, avec Le Bal du moulin de la Galette de Renoir.  Câliner son chat parce qu’on se sent triste, avec Julie Manet ou L’enfant au chat. C’était pour moi comme un travail de broderie…

L’idée était de tisser des liens subtils entre l’enfant et le tableau, comme des liens d’amitiés, de compréhension profonde. Et puis il fallait aussi que le jeune auditeur puisse découvrir le vie des enfants de divers milieux sociaux au XIXe siècle. La pauvreté extrême, la faim, avec Ce qu’on appelle le vagabondage, d’Alfred Stevens, évoquer la naissance du cinématographe, grâce à la lampe qui ressemble à un praxinoscope sur la table du Dîner, effet de lampe, de Vallotton, ou montrer la journée d’un enfant vendeur de journaux, sur Le quai Saint Michel, toile de Maximilien Luce.

L’idée était de tisser des liens subtils entre l’enfant et le tableau, comme des liens d’amitiés, de compréhension profonde.

Quels conseils donneriez-vous à une famille qui souhaite écouter Promenades imaginaires à la maison ?

Peut-être d’abord écouter l’histoire, sans regarder l’œuvre, pourquoi ne pas faire un dessin d’après ce que l’on a imaginé ? Puis ensuite seulement… regarder le tableau, jouer à trouver le narrateur. Chercher les œuvres sur Wikipedia ou sur Google art project, pour pouvoir zoomer sur les détails, c’est grisant ! Enfin, on peut lire les petites notices biographiques de chaque artiste dans Toute une histoire dans un tableau (Gallimard Jeunesse).

Selon vous, à partir de quel âge les enfants sont-ils capables d’apprécier les œuvres d’art, notamment au musée ? Quels bénéfices en tirent-ils ?

Mais dès 6 mois bien sûr. J’ai vu des mères ou des pères très inventifs en la matière. Ils savent attirer l’attention du bébé dans leurs bras sur des détails justement : un chien rouge, un oiseau bleu, une cheval blanc, un enfant qui pleure, une petite fille aux yeux noirs, un bébé qui dort ou un chat qui ronronne… Le bébé écoute, hoche la tête, concentré. Il est d’autant plus attentif s’il s’aperçoit que son parent vient de découvrir quelque chose qui lui plait et qui fait briller ses yeux. C’est le fameux : « Oh ! Regarde ! » Il le comprend au son de sa voix.

Plus tard, ce sont les enfants qui trouveront des choses secrètes et cachées dans les tableaux… bien avant leur parents.  C’est cette triangulation là qui est la plus fructueuse. Et elle ne se définit pas en tant que développement personnel, mais en éveil de la curiosité de l’enfant et d’un désir profond et universel de comprendre l’humanité.

Propos recueillis par Emilie Coulette

Crédits image : Berthe Morisot, Dans les blés, 1875, © RMN – Grand Palais (musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle