Si le numérique fait aujourd’hui partie de la vie des familles, les parents se demandent souvent comment intégrer ces outils à l’éducation de leurs petits. Afin d’y voir plus clair, nous avons interrogé Marion Voillot, designer-chercheure, qui a coréalisé l’excellent documentaire, La petite culture numérique, et un MOOC très instructif pour aider les parents à forger la culture numérique de leurs enfants, dès le plus jeune âge.

Penser une éducation au numérique avec Marion Voillot

Designer-chercheure et doctorante au Centre de Recherche Interdisciplinaire de Paris (Université Paris Descartes), Marion Voillot a cofondé le projet Premiers Cris. Ce collectif interdisciplinaire de recherche collaborative sur la petite enfance par le numérique réunit chercheurs, familles et professionnels de santé et d’éducation pour répondre aux questionnements de ceux qui prennent soin des tout-petits.

Votre MOOC et votre documentaire s’inscrivent en droite ligne de la Journée mondiale pour un Internet plus sûr, qui a eu lieu le 8 février. Comment sont nées ces créations ?

Marion Voillot : Je me suis rendue compte que les contenus dédiés au départ à mon travail de recherche pouvaient profiter à un maximum de personnes. J’ai donc interviewé des scientifiques et des professionnels de l’enfance en les filmant. Le Centre de Recherche Interdisciplinaire, devenu le Learning Planet Institut, avait toute une MOOC* factory (des activités dédiés à la création de Mooc au sein du CRI). Je me suis dit que la série d’entretiens pouvait devenir un support d’apprentissage. Pour ce faire, je me suis entourée de Lisa Jacquey, maîtresse de conférence en Sciences cognitives, plus particulièrement en Psychologie du développement à l’université de Lille et de Léa Langlard. À partir de ce MOOC #petitecultnum, composé de 5 épisodes, nous avons réalisé un documentaire de 52 minutes.

Ce documentaire, intitulé La petite culture numérique, est interdisciplinaire. Ce travail peut aussi bien utilisé en cours de psychologie et de sciences de l’éducation, que comme support pour des familles ou des professionnels de la petite enfance.

Quel est l’enseignement le plus marquant que vous tirez de vos recherches ?

MV : Ce qui est marquant, c’est que les questions posées par les familles, les chercheurs, les institutionnels et les professionnels (pédiatre, orthophoniste, psychomotricien) sont les mêmes. Elles concernent, par exemple, le jeu, l’importance de la relation parent-enfant ou le développement sensori-moteur.

Avec un peu de recul maintenant, je me demande si, aujourd’hui, la question du numérique n’est pas un prétexte pour s’intéresser à notre relation aux enfants et aux éléments essentiels de leur développement.

Quels sont les principaux conseils que vous donneriez aux parents concernant la parentalité numérique ?

MV : Premièrement, selon la recherche, il n’y a aucun intérêt à mettre un enfant, seul, devant un écran, avant 3 ans. Ce n’est pas l’écran en soi qui est délétère, c’est tout ce que ne va pas faire l’enfant pendant qu’il regarde l’écran. À cet âge-là les éléments essentiels au développement de l’enfant sont principalement issus de la relation interhumaine.

Cependant, il n’est pas dramatique de regarder un dessin animé en famille, avec plusieurs enfants dont l’un âgé de 2 ans, par exemple. L’important est que le tout-petit soit entouré et qu’il puisse interagir avec autrui.

Deuxièmement, les usages numériques des enfants sont le reflet de ceux de leurs parents. Ils sont responsables des usages des tout-petits. Avant six ans, l’autonomie n’est pas acquise et l’enfant ne peut pas aller chercher l’outil tout seul. Les enfants agissent aussi par mimétisme. Si vous êtes beaucoup sur votre écran, votre enfant aura également envie d’y aller. Ce mimétisme est notamment constaté par le personnel de crèches. Ils voient, par exemple, des enfants utiliser des fruits de la dinette pour mimer le téléphone. Cela ne veut pas pour autant dire que les tout-petits sont déjà accros aux nouvelles technologies. Les enfants veulent simplement imiter les adultes !

Nous vivons dans une société où le numérique est très présent. L’idée n’est donc pas de créer des environnements sans écrans, mais plutôt de les inclure comme support d’interactions sociales. Le tout étant de créer une relation humaine qui passe par le langage, le toucher… (par exemple : chanter une comptine accompagné d’une vidéo).

Dans le documentaire, il y a une distinction entre les types d’écran, les usages et les contextes d’utilisation. Pouvez-vous nous expliquer en quoi elle consiste ?

MV : Nous avions envie de compléter la règle du 3-6-9-12 (pour des écrans adaptés à chaque âge) de Serge Tisseron, et la règle des quatre pas (temps d’écran) de Sabine Duflo. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à l’outil numérique, en tant qu’artefact de notre quotidien. Cet objet peut-être différencié : on n’a pas les mêmes usages avec une tablette, une télévision ou un smartphone.

Bien sûr, on peut utiliser la tablette comme une télévision (devant un dessin animé, en étant passif). Mais, avec ce type d’écran, on peut aussi interagir, être plus actif et avoir du pouvoir sur l’outil.

On peut aussi distinguer le contexte, le contenant et le contenu. Le “contexte” définit où et quand l’outil numérique est utilisé (à l’école, à la maison ?). Le “contenant” représente l’outil numérique en tant qu’objet. Enfin, le “contenu” cristallise la question de l’usage. Que fait-on sur cet écran ? Une visioconférence, un dessin animé, un jeu ludique ou pédagogique… le contenu diffère et l’usage de l’écran aussi.

Nous nous sommes aperçues que l’inégalité face au numérique se fait aujourd’hui davantage sur la question des usages que sur la question des outillages. C’est pourquoi je plaide pour que l’école dispose d’outils et puisse éduquer au numérique. Plus on accompagne les enfants, plus on les rend responsables. Il faut leur expliquer les dangers des écrans mais aussi les possibilités qu’ils offrent, adaptés à leur âge et à leurs envies.

Une tribune est parue dans Le Monde, intitulée La surexposition des enfants aux écrans pourrait être le mal du siècle… Qu’en pensez-vous ?

MV : Les personnes à l’origine de la tribune ont pris le parti d’alarmer les gens pour faire bouger les choses. De mon point de vue, la peur produit l’effet inverse : elle immobilise et rend impuissant.

Avec le MOOC, puis le documentaire, nous avons décidé d’expliquer, de donner les clés pour que les gens puissent agir. Que ce soit dans leur  famille, avec leurs enfants, dans leur pratique au quotidien ou dans leur travail.

Cette tribune indique quelque chose qui est réel. Les enfants passent de plus en plus de temps devant les écrans. Cette situation s’est accentuée avec la covid. C’est un phénomène de société qui concerne autant les adultes que les enfants. En revanche, parler, comme certains le font, d’autisme virtuel est complètement absurde et même contredit par la communauté scientifique.

Pour ma part, je fais confiance aux personnes qui prennent soin des enfants au quotidien et aux scientifiques qui font de la recherche tous les jours. Ce sont des personnes qui ont une parole qui compte.

Propos recueillis par Élodie Dubuis

Une campagne de sensibilisation pour aller plus loin

Un an après la sortie du MOOC #petitecultnum, Premiers CRI propose une campagne de sensibilisation. Elle est destinée aux familles et aux professionnel·les travaillant auprès d’enfants de moins de 6 ans. Elle est composée de 8 messages clés réunis sous le titre principal : “Face aux écrans, j’accompagne mon enfant.”

Chaque message a été pensé avec soin pour aider à accompagner les jeunes enfants dans leurs usages des outils numériques, ainsi que les nôtres quand nous sommes avec eux ! Les affiches sont destinées à être affichées dans les différents lieux susceptibles d’accueillir de jeunes enfants : crèches, écoles maternelles, bibliothèques ou cabinets médicaux.

Vous pouvez télécharger chaque affiche gratuitement au format PDF à cette adresse : ICI . N’hésitez pas à les partager autour de vous !

Safe Internet Day

Crédits photos : campagne de sensibilisation autour du MOOC #Petitecultnum de Premiers Cris, l’Université de Paris, avec le soutien du Lab HEYME. Les affiches ont été créées par Cécile Barraud de Lagerie, illustratrice.


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