Ariol, le petit âne “comme vous et moi”, fête ses 20 ans. Après seize volumes parus, des dessins animés, des clips, des jeux, le personnage n’a pas pris ni une ride, ni un centimètre. Son créateur Emmanuel Guibert (à gauche sur la photo) revient sur 2000 pages de scénarios.

Comment vous est venue l’idée de ce personnage, il y a vingt ans ?

A la fin des années 90, j’avais déjà un rendez-vous mensuel publié chez Bayard Presse : Sardine de l’espace. Les équipes m’ont demandé une deuxième série. J’ai accepté, mais il fallait trouver une idée. Je me revois réfléchir, un week-end, sur une plage en Normandie.

Cette nouvelle série devait être aussi différente que possible de la première, pour ne jamais hésiter entre l’un ou l’autre des deux univers, lorsque j’avais une idée. Et puis il fallait en avoir sous le pied, que ce soit prometteur, fertile, maniable et inspirant pour engendrer une longue durée.

Le mieux, me suis-je dit, c’est de raconter mon enfance. De créer un petit théâtre de marionnettes, avec mes copains, copines, mes parents, mes grands-parents, mes enseignants, les commerçants du quartier… et de leur donner un terrain de jeu, de re-création, de résurrection.

S’il s’agit de votre enfance, pourquoi avoir eu recours aux animaux ?

Je ne voulais pas que ça rappelle trop le Petit Nicolas. J’ai été irradié à 9 ans par cette lecture, qui est devenue une lecture à vie. On n’en épuise jamais la drôlerie, la finesse d’observation de René Goscinny. Les animaux permettent un décalage. Et j’y voyais un vecteur de drôlerie tant sur le plan graphique que scénaristique.

Toujours sur ma plage normande, j’ai cherché un animal totem qui me ressemble.

Ça me plaisait de confier à l’âne le premier rôle, alors que c’est un animal déconsidéré, qui passe pour l’idiot du village ou le dernier de la classe. Ça permet aussi de donner au personnage une conscience des complexes, des discriminations que l’on peut subir. Je lui ai trouvé un meilleur copain, le petit cochon Ramono. Et qu’il soit amoureux d’un mammifère d’une autre espèce, ça me paraissait bien : j’ai imaginé Pétula, la génisse.

Le soir-même, j’avais tout un trombinoscope, et rapidement, j’ai fait un premier storyboard, sans avoir encore décidé si je dessinerais moi-même ou non. Mais comme il s’agissait de mes propres souvenirs, comme je pressentais que j’allais aller « à l’os », j’ai décidé de m’en tenir au scénario : plus c’est intime, plus il faut le confier. J’ai donc entraîné Marc Boutavant (à droite sur la photo) sur le terrain de la BD, qu’il ne pratiquait pas.

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En vingt ans, vous avez dû épuiser vos propres souvenirs d’enfance ! Comment fait-on pour tenir la longueur, en restant aussi proche des enfants ?

Je me suis émancipé de mes propres souvenirs. J’ai mâtiné Ariol de l’enfance de ma fille, de toutes sortes d’apports. La grâce du feuilleton, c’est que c’est un travail à la fois constant et sporadique. On n’est pas tout le temps ensemble, on a un rendez-vous. Ça m’a permis de fréquenter ce personnage comme on en fréquente rarement.

Sa vie est très imbriquée à la mienne. Elles sont parallèles et se croisent une fois par mois, pendant la semaine où je l’ai en garde. Nous avons une relation familiale de « vivre ensemble », qui me donne un aperçu unique de son tempérament. A chaque nouvelle circonstance à laquelle je le frotte, je découvre de nouveaux aspects de son caractère. Et les personnages sont très nombreux.

Le feuilleton est un ferment. Sans cette régularité, je n’aurais pas réussi. J’ai intégré ce rendez-vous mensuel dans ma propre biologie. Qu’il neige, qu’il vente, qu’il pleuve, que je vive des choses difficiles ou non, il me faut écrire un épisode d’Ariol et faire rire.

Une telle présence dans ma vie, c’est précieux. Qu’il neige, qu’il vente, qu’il pleuve, que je vive des choses difficiles ou non, il me faut écrire un épisode d’Ariol et faire rire.

Les adultes vous connaissent comme l’auteur des bande-dessinées Le Photographe, La Guerre d’Alan, très remarquées. On dit parfois de vous « il est aussi l’auteur d’Ariol, une série pour enfants », comme s’il s’agissait d’une œuvre de moindre importance.

Je ne fais aucune hiérarchie entre ces travaux. Pour moi, c’est un besoin et un plaisir de s’adresser aux enfants. Je le fais avec le même type de conscience et d’ambition que mes travaux pour adultes : je recommence, je pèse mes mots, jusqu’à ce que les dialogues me conviennent dans leur naturel et leur subtilité. J’ai aussi le désir que dans chaque épisode se glissent des moments de vie qui me sont chers, de l’ordre d’une vérité à partager avec d’autres.

Écrire pour les enfants n’est pas une récréation.

Pour le faire, il faut être enfant, mais depuis la place où l’on est (moi, par exemple, je suis un enfant de cinquante-six ans), avec ce que l’expérience nous a appris. N’écoutons jamais les adultes qui bêtifient ou ânonnent sous prétexte que les enfants ne comprendraient pas. Au contraire : il ne faut jamais avoir peur d’être futé avec les enfants.

Propos recueillis par Anne Bideault

Crédits photos : A. Bujak

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2020-Emmanuel Guibert

L’auteur et dessinateur de bande dessinée Emmanuel Guibert a été élu cette année Grand Prix du 47e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.

Actualités :

Légendes. Dessiner dans les musées (Dupuis), sorti le 11 septembre 2020.

Deux nouveaux albums d’Ariol (BD Kids) en librairie le 14 octobre : Ramono, ton tonton fait du bio  et Naphtaline nous dit toutou (tome 16)

Une exposition tourne jusqu’au 18 octobre : Emmanuel Guibert. Biographies dessinées (Académie des Beaux-Arts, 27 quai de Conti, Paris 6e, Mardi au dimanche, 11h à 18h, Entrée libre)


 

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