Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie,  revient sur deux problèmes majeurs auxquels sont confrontés les enfants d’aujourd’hui : les enceintes connectées et Fortnite. 

 

Quels sont les grands bouleversement  ?

Actuellement, il y a 2 grands bouleversements. J’en parle dans mon prochain livre L’emprise insidieuse des machines parlantes, Plus jamais seul (éditions Les liens qui libèrent) qui sortira le 17 mars. La première grande révolution concerne les enceintes connectées et la seconde les jeux vidéo comme Fortnite.

 

Pourquoi l’enceinte connectée serait-elle insidieuse ?

Elle se présente comme une simple aide pour communiquer avec les machines alors qu’elle ouvre la voie à des bouleversements majeurs autour de la voix. Google et Amazon communiquent actuellement en disant : “parents, les experts ont montré que les écrans sont toxiques pour vos enfants. Achetez-leur plutôt une enceinte connectée”. Le problème, c’est qu’elles présentent exactement les mêmes inconvénients. Elles n’encouragent ni le langage, ni l’identification des émotions sur le visage de l’interlocuteur, ni les capacités d’attention et de concentration, ni la motricité. Il est prévu qu’en 2020, nous allons utiliser 30% de moins nos écrans et 30% de plus les commandes vocales. Nous nous habituerons à parler à des machines, à suivre leurs conseils, et à renoncer à préserver notre intimité.

Les enceintes connectées n’encouragent ni le langage, ni l’identification des émotions sur le visage de l’interlocuteur, ni les capacités d’attention et de concentration, ni la motricité.

 

Mais est-ce possible d’avoir une enceinte connectée sans que ce soit négatif ?

Aujourd’hui ce n’est pas possible. Il vaut mieux éviter les enceintes connectées car leur technologie n’est pas régulée en fonction des intérêts des utilisateurs, mais assujettie à ceux de leurs fabricants. En France, une commission devrait remettre ses conclusions en 2022. D’ici là, nous sommes pieds et poings liés au fabricant.

 

Lire également : Interview de Serge Tisseron : Comment utiliser les repères 3-6-9-12 ?

 

Mais pourquoi avertir maintenant ?

Pendant mes conférences, beaucoup de gens me disent que si on leur avait dit avant qu’il ne fallait pas donner de smartphone aux bébés, ils ne l’auraient pas fait. Mais personne ne leur a dit. J’ai été bousculé par la rapidité d’adoption du smartphone. Mais on ne m’y reprendra plus. Pour l’enceinte connectée, j’anticipe. Je peux vous dire : “non, ne l’achetez pas. Surtout si vous avez un enfant !

Tous les jeux vidéo peuvent favoriser la socialisation, et d’ailleurs aussi la désocialisation, selon l’état d’esprit du joueur.

Le second bouleversement est celui de Fortnite

Pour la première fois dans l’histoire du jeu vidéo, nous avons un jeu qui intègre toutes les connaissances scientifiques actuelles sur l’efficacité des jeux de hasard et d’argent pour le rendre addictogène. Fortnite rassemble 271 millions de joueurs. Si un enfant de 5 ou 6 ans dispose d’un ordinateur, il ne va pas regarder un dessin-animé, il va jouer à Fortnite. Ce jeu est conçu pour scotcher les joueurs. Et son immense succès a convaincu les producteurs de jeux vidéo d’intégrer ces procédés pour décrocher le pactole.  Les joueurs sont sans arrêt invités à investir des petites sommes d’argent pour accroître leur visibilité. Et cela peut aboutir à la dépense de sommes importantes en quelques mois.

 

Mais que faut-il faire alors ?

Les parents doivent être beaucoup mieux informés du modèle économique de Fortnite et de tous les jeux vidéo soi-disant gratuits. Il ne faut jamais investir le moindre centime dans ce type de jeux, parce que les neurosciences ont montré que quand vous mettez un euro dans une activité, vous avez beaucoup plus de difficultés à l’abandonner. Ce n’est pas le montant qui compte, c’est le geste d’investir. Et celui-ci n’est qu’un des procédés utilisés, car il y en a encore quatre autres conçus pour retenir le joueur.

Quand vous jouez à Fortnite, vous n’avez pas envie d’essayer un autre jeu. Vous restez sur Fortnite.

Fortnite peut aussi être un facteur d’intégration au sein du groupe ou dans la cour de récréation, non ? 

Tous les jeux vidéo peuvent favoriser la socialisation, et d’ailleurs aussi la désocialisation, selon l’état d’esprit du joueur. Ils ont aussi une fonction de découverte, de plaisir esthétique, d’affrontement des peurs, et de valorisation de soi par les gratifications qu’on y trouve. Je vois énormément d’avantages aux jeux vidéo. Je n’ai jamais cessé d’y jouer depuis que je les ai découverts en 1989. Mais Fortnite est un jeu différent, d’une nouvelle génération, où il peut y avoir un facteur de socialisation, mais surtout le risque que cette activité ne permette pas de respecter le principe d’alternance. Quand vous jouez à Fortnite, vous n’avez pas envie d’essayer un autre jeu. Vous restez sur Fortnite.

Propos recueillis par Noredine Benazdia