A partir de quel âge un enfant peut-il avoir une tablette ou une console personnelle ?  Quel programme regarder ? Faut-il bannir l’écran le matin ? Afin d’y voir plus clair, nous avons interrogé Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, inventeur des repères “3-6-9-12 pour apprivoiser les écrans”. Il a accepté de revenir sur les origines de ces conseils.

Depuis quand vous intéressez-vous aux écrans et à leurs effets ? 

J’ai commencé à m’intéresser aux conséquences des images sur le fonctionnement mental dès les années 1990. Cette réflexion m’a conduit à sensibiliser les parents pour qu’ils ne mettent pas leurs enfants devant la télévision le matin. C’est un désastre pour leur apprentissage à l’école. En 1998, j’ai écrit un livre intitulé Y a-t-il un pilote dans l’image ? J’y expliquais qu’il n’y a qu’un seul pilote dans l’image, c’est son spectateur, et qu’il faut le former pour cela. C’est l’éducation aux images.

Il n’y a qu’un seul pilote dans l’image, c’est son spectateur, et il faut le former pour cela. C’est l’éducation aux images.

Comment en êtes-vous arrivé à donner des conseils liés à l’âge ? 

En 2006, deux chaînes de télévision anglaises, Baby TV et Baby First ont ciblé en France les enfants de moins de 3 ans avec des slogans très inquiétants comme : “Parents, laissez la télévision allumée dans la chambre de votre enfant la nuit. S’il se réveille, il se rendormira avec nos programmes apaisants.” J’ai alors lancé une pétition et fédéré de nombreuses associations de professionnels. Grâce à cette mobilisation, nous avons pu intervenir auprès du CSA et du Ministère de la santé. Nous avons mené une vaste campagne dont le thème était “pas de télé avant 3 ans”. Il s’est vite transformé en “pas d’écran avant 3 ans”. Les parents ont compris le message mais ils m’ont demandé ce qu’il fallait faire après 3 ans.

C’est à ce moment-là que sont nés les repères “3-6-9-12” ?

Oui. C’était en 2008. Je me suis calé sur des âges qui parlent à tout le monde. A 6 ans, l’enfant entre en élémentaire. A 9 ans, il sait à peu près lire et écrire, et veut aller sur Internet. A 12 ans, il se sent vraiment au collège, avant, c’est un peu le prolongement de l’école primaire. Quelques années après, l’Education Nationale a fait de ces 4 âges les repères des cycles 1, 2 et 3. Au début, j’avais appelé cela “la règle de 3-6-9-12”. Puis j’ai remplacé ce mot par “balise” ou “repère”.

Et à quoi correspondaient ces balises en 2008 ? 

Pas d’écran avant 3 ans. Pas de console de jeux personnelle avant 6 ans. Pas d’Internet avant 9 ans et pas de réseau social avant 12 ans. Puis j’ai précisé ces conseils, je les ai élargis et je leur ai donné l’apparence qu’ils ont aujourd’hui, plus positifs et incitatifs à l’accompagnement familial des enfants.

Mais depuis 2008, le monde a changé. Il y a eu les tablettes, les smartphones ? 

Ces repères ont fait l’objet de mises à jour régulières. Lorsque la tablette est apparue, le second conseil est devenu « pas de tablette personnelle avant 6 ans ». Quand le smartphone est arrivé, j’ai déconseillé de prêter son smartphone à ses enfants, cela crée une confusion entre les générations, et votre enfant n’a besoin que d’une durée d’écran très limitée. S’il accapare votre smartphone, vous ne saurez jamais combien de temps il a passé devant l’écran. Et quand j’ai travaillé avec l’Académie des sciences pour la co-rédaction de l’avis de 2013, j’ai insisté sur l’interdiction des écrans avant 3 ans sauf dans un usage accompagné sur des périodes courtes. Mais ce qui est important, ce n’est pas le détail des conseils pratiques qui sont amenés à évoluer avec les technologies, ce sont les trois principes qui les guident.

Ce qui est important, ce n’est pas le détail des conseils pratiques qui sont amenés à évoluer avec les technologies, ce sont les trois principes qui les guident.

Pouvez-vous m’expliquer ces trois principes ?

  1. Le premier est l’alternance. De la même manière que vous variez votre alimentation, il faut que l’enfant puisse varier ses activités. Et pour y arriver, il faut limiter son temps d’écran.
  2. Le second principe est l’accompagnement. Il ne faut jamais laisser un enfant seul devant un écran. Si cela arrive tout de même, il est possible de rattraper ce temps en parlant avec lui de ce qu’il a vu sur les écrans.
  3. Le dernier principe est l’apprentissage de l’auto-régulation. Il faut que l’enfant apprenne à attendre. Pour y arriver, entre 3 et 6 ans, on fixe un horaire d’écran dans la journée. Après 6 ans, on lui fixe une durée d’écran maximale et il la consomme quand il le souhaite.

Il y a 4 conseils qui découlent de ces 3 principes.

Quels sont ces 4 conseils ? 

  1. Limiter le temps d’écran,
  2. Choisir des programmes de qualité,
  3. Parler avec l’enfant de ce qu’il voit et fait avec les écrans,
  4. Encourager les activités de création, avec ou sans écran.

Qu’entendez-vous par “programme de qualité” ? Comment les reconnaître ?

C’est un programme qui correspond à la tranche d’âge de l’enfant et sur lequel il existe des informations. Idéalement, c’est un programme qui a été vu par des gens dont le métier est de savoir ce qui est bon pour un enfant. Il existe aujourd’hui des sites comme Common Sense Media qui donnent ce type d’information.

Qu’avez-vous envie de dire aux parents qui ont tout fait de travers ?

Il ne faut pas hésiter à changer les règles familiales quand on pense que c’est nécessaire : nos enfants ont beaucoup de plasticité psychique pourvu que les règles soient claires et partagées par la famille, comme l’interdiction d’utiliser le téléphone pendant les repas, et de ne pas emmener son téléphone dans la chambre la nuit.

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Il ne faut pas hésiter à changer les règles familiales quand on pense que c’est nécessaire.

Par ailleurs, en 2006, pour aider les enfants gros consommateurs de télévision, j’ai créé le jeu des 3 figures, qui est pratiqué par les enseignants de la maternelle à la sixième après une formation initiale, et qui bénéficie d’un agrément de l’Education nationale. Son but est de permettre à des enfants de développer des aptitudes que la surconsommation d’écran ne leur a pas permis de développer, notamment les capacités de langage, de flexibilité cognitive, d’identification des émotions et des mimiques. Mon but n’est pas seulement d’aider les parents à bien éduquer leurs enfants avec les écrans, c’est aussi de faire en sorte qu’à tout moment on puisse rattraper les problèmes créés par les écrans.


Propos recueillis par Noredine Benazdia


A suivre prochainement la suite de l’interview de Serge Tisseron sur 2 bouleversements de notre époque : les enceintes connectées et Fortnite…