De plus en plus de pédiatres et de chercheurs alertent sur les dangers de la consommation excessive d’écrans, notamment chez les jeunes enfants. Quels sont les réels dangers de cette surexposition ? Quel exemple donnons-nous à nos enfants avec nos propres usages ? Quel cadre mettre en place pour éviter les dérapages ? La psychologue clinicienne Marie Danet partage ses conseils pour mieux réguler les écrans à la maison.

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer votre travail ?

M.D. : Je suis Marie Danet, psychologue clinicienne et maître de conférence en psychologie du développement à l’université de Lille. Je travaille notamment sur la théorie de l’attachement et la place des outils numériques au sein des relations sociales, et des familles en particulier.

Il y a beaucoup de débats sur l’âge à partir duquel on peut mettre un écran entre les mains d’un enfant. Quelles sont vos recommandations ? 

M.D. : Avant 3 ans, le Haut Conseil de la santé publique déconseille fortement l’usage des écrans seul. Il est vrai qu’avant cet âge un enfant ne va pas forcément tirer bénéfice des outils numériques, même s’il peut partager des moments agréables avec ses parents autour d’un écran. Plus que l’âge en lui-même, il faut surtout être attentif au contexte d’exposition. Quel que soit l’âge, l’accompagnement et la qualité des contenus visionnés sont deux critères très importants à prendre en compte. Avant 10 ans, je conseille également que les écrans soient consultés dans une pièce commune qui permet de garder un œil sur les usages qui sont faits des écrans.

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Vous avez travaillé récemment sur la technoférence, pouvez-vous nous en dire plus sur ce phénomène nouveau

M.D. : La technoférence désigne les moments où les notifications ou la consultation d’un smartphone ou d’un autre appareil entravent la communication avec les autres. Pendant les temps de jeux ou les repas, je recommande aux parents de désactiver les notifications, de mettre leur smartphone en silencieux ou de carrément le poser dans une autre pièce pour ne pas avoir la tentation d’être interrompu. Il faut également être particulièrement vigilant à la télé allumée en fond. Une étude récente a montré qu’une exposition répétée à des contenus vidéo ou sonores, même passive, peut avoir un impact négatif sur le développement du langage chez les plus jeunes. Si on veut que les enfants adhèrent aux règles mises en place à la maison, il est important que les parents montrent l’exemple. Réfléchir à nos propres usages, en se demandant si, à ce moment précis, on a vraiment besoin d’avoir notre téléphone avec nous est une première étape clef.

On entend beaucoup parler d’addiction aux écrans. Le lien entre usage des écrans et développement de troubles cognitifs a-t-il été prouvé ?

M.D. : Ce terme d’addiction fait débat au sein de la communauté scientifique. Le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), qui liste tous les types d’addictions inclut depuis 2019 le trouble de l’usage du jeu vidéo sur internet, mais ne mentionne pas de troubles directement liés aux usages des écrans. Je préfère parler d’usages problématiques. Un usage devient pour moi problématique quand il nuit à la personne et/ou à ses relations sociales. Je remarque que ces usages problématiques représentent finalement une faible tranche de la population et sont souvent liés à d’autres difficultés. Si les parents constatent des situations d’isolement ou des difficultés à interagir avec les proches liés à l’écran, il est important de consulter un pédiatre ou un psychologue qui pourra les aider à mieux identifier l’origine du problème.

La gestion du temps d’écran génère souvent des conflits dans les familles. Quels conseils donneriez-vous aux parents pour éviter les crises ?

M.D. : Chez les tout-petits, pour éviter les crises, je recommande de mettre en place un cadre strict. C’est-à-dire des règles que l’on va tenir pour que les enfants puissent les intérioriser et aussi mieux anticiper ce qu’il va se passer. Les enfants sont rassurés quand les règles sont claires. La mise en place peut être difficile au début, mais à terme, cela va être bénéfique parce que les règles du jeu seront acceptées.

Tablette, smartphone, télé, console… y a-t-il un type d’écran à privilégier pour les plus jeunes ?

M.D. : Pour les jeunes enfants, l’idéal reste de favoriser la télévision parce que c’est un appareil qui est souvent dans la pièce commune. C’est donc plus facile pour le parent de pouvoir veiller aux contenus visionnés. Les smartphones sont à éviter, car ce sont des appareils portables avec lequel l’enfant peut facilement disparaître et avoir un usage plus solitaire, susceptible de l’isoler.

Avez-vous des conseils à donner aux parents pour bien choisir les programmes ou les jeux proposés aux enfants ?  

M.D. : C’est difficile de se prononcer à la place des parents et d’établir des règles universelles. J’encourage en tout cas les parents à se méfier des applications dites éducatives. La plupart ne permettent finalement pas d’apprendre grand-chose, surtout quand elles intègrent des publicités qui nuisent à la continuité de l’apprentissage. De manière générale, il est vraiment important de privilégier des plateformes sans publicité (comme Youtube Kids) et dans lesquelles on peut, comme sur Okoo ou BayaM, filtrer les contenus par âge.

Il existe maintenant beaucoup d’applications de contrôle parental, recommanderiez-vous des applications en particulier ?  

M.D. : Le problème avec ce type d’application, c’est que cela peut fonctionner avec de jeunes enfants, mais dès qu’ils approchent de l’âge de 10 ou 11 ans, cela devient facilement contournable. Il existe de nombreux tutoriels sur YouTube pour leur apprendre à déjouer ces limitations. Il est important d’être prudent avec ces outils qui peuvent être utiles, mais ne doivent pas remplacer la supervision parentale, le dialogue et l’accompagnement.

Pour finir, avez-vous d’autres conseils à transmettre aux parents ?

M.D. : Certains parents, qui ne maîtrisent pas bien les outils numériques, optent par sécurité pour une restriction totale des écrans. Ce n’est à mon sens pas une bonne solution. Maîtriser les outils numériques qui jouent un rôle grandissant dans nos vies est un vrai challenge pour la nouvelle génération. Si les parents se sentent démunis pour accompagner leurs enfants dans ces usages, ils peuvent consulter des spécialistes comme des médiateurs ou des conseillers numériques, souvent disponibles dans des structures comme les médiathèques.

Ces médiateurs aident à mieux comprendre les différents usages et leurs enjeux pour établir un cadre en connaissance de cause. Il faut aussi et surtout que les parents apprennent à se faire confiance. Rien ne vous oblige à faire comme chez les copains. Je prends souvent l’exemple de la paire de Nike à 120 €, ce n’est pas parce que le copain ou la copine vient de les avoir, que vous allez accepter de les offrir à vos enfants. Pour les écrans, ce n’est finalement pas très différent ! À vous de choisir ce qui vous semble intéressant ou non à proposer à votre famille.

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