L’approche Montessori est souvent caractérisée par le mot « ordre ». Quel est le lien entre l’ordre et le mouvement ? En quoi le mouvement est-il l’expression de la pensée chez l’enfant ? Découvrez le deuxième volet d’une introduction à la vision Montessori, proposée en partenariat avec l’Institut Supérieur Maria Montessori et le magazine L’enfant et la vie.

L’ordre pour orienter le mouvement

Lorsqu’on pénètre dans une classe Montessori, on est d’abord frappé par l’ordre qui y règne : étagères, plateaux, tapis… à chaque objet, sa place. L’ordre, pour la pédagogue italienne, correspond à un besoin de l’enfant (et non à un confort de l’adulte !). Elle soutient que l’ordre extérieur construit par l’adulte étaye la construction de l’ordre intérieur de l’enfant.

Prenons l’exemple des exercices dits « de vie pratique », dans les environnements préparés pour les enfants de moins de 7 ans (communauté enfantine et maison des enfants). Au départ, l’enfant n’est pas capable de déterminer quelle tâche faire en premier. Ce qui l’intéresse, c’est de faire. L’ordre dans lequel sont placés les objets va le guider. Par exemple, pour se laver les mains : broc, cuvette à remplir, savon, brosse à ongles, torchon, crème pour les mains. L’activité est présentée à l’enfant une première fois. Puis on le laisse l’investir et la répéter à tout moment.

Certains vont remplir un broc, le verser dans la cuvette, puis repartir le remplir, inlassablement… leur besoin de motricité globale prime : porter, charrier. D’autres vont se focaliser sur une autre étape, et délaisser le reste. Peu importe ! C’est parce qu’on va leur permettre de faire et refaire que l’enfant va progressivement prendre conscience de la suite des objets, placés dans l’ordre d’utilisation. Et c’est dans cette prise de conscience que se glisse la pensée logique.

Plus tard, l’enfant sera à même d’imaginer, de réfléchir, d’anticiper, de penser : « Pour faire ça, il me faut ça, ça, et ça. »

Certaines paraissent désuètes (cirer les chaussures, astiquer les cuivres, laver le linge à la main). Mais ne sont que des mises en scène pour permettre à l’enfant d’investir son mouvement dans une activité structurée et structurante et de le conduire à la pensée.

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Le mouvement, signe de la pensée

La fameuse « Tour rose » constitue une sorte de totem auquel tout le monde associe la pédagogie Montessori. Cette série de cubes de taille croissante n’invite pas à un simple travail moteur, comme pourrait le faire un enfant de 18 mois : saisir, empiler. Face à ces cubes, le mouvement de l’enfant doit être mis au service de ce que son intelligence a évalué : tel cube est plus gros que tel autre.

Ses premières tours n’auront rien de la forme pyramidale attendue. Mais grâce à son mouvement et au raffinement de sa discrimination visuelle, l’enfant va peu à peu appréhender un nouveau paramètre, la dimension, nécessaire pour construire cette tour de façon harmonieuse.

C’est par son mouvement que s’exprimera ce que l’intelligence a analysé et compris. La main met en mot, elle est le moyen de l’expression de la pensée.

Un adulte qui aurait mal compris la caractéristique d’ordre (« Il faut que tout soit à sa place », « Mais non, la brosse à ongles, c’est après ! », « Ce cube-là ne va pas ici ! »), ne serait pas à même d’accompagner l’enfant dans ce qu’il ne pas encore faire. Ne pas accepter les premières tours, de guingois, c’est entraver l’enfant dans sa prise de conscience du paramètre de la dimension, qui lui permettra d’enrichir son analyse du monde. L’ordre n’est pas à voir comme rigide (il en serait inhibant) mais comme suffisamment souple pour inviter au mouvement, et donc à la pensée. Notre travail est de permettre à l’enfant de diriger son énergie pour développer ce mouvement-là.

Et pour les plus grands ?

Cela vaut aussi pour les plus grands. Des écoliers (6-9 ans) s’étaient ainsi lancés, de leur propre chef, dans la représentation en taille réelle d’un anaconda. Une façon pour eux de représenter le monde, et un effort intellectuel monumental (comment s’y prendre, quels matériaux, quels calculs…) tout autant qu’un engagement physique. On le voit, le mouvement permet d’éprouver dans son corps l’élaboration de sa pensée.

À l’âge adulte aussi, il nous arrive de mimer certains gestes pour pouvoir les décrire à un tiers : « Elle se tourne dans quel sens, la clé de la cave ? » Mais en règle générale, nous avons acquis une capacité d’abstraction qui nous permet de nous en passer. Nos enfants, eux, sont au cœur du processus.

Comment cela se passe à la maison ? 

Ordre, rangement et vie de famille se conjuguent souvent difficilement. Sans tomber dans la rigidité, on peut déjà veiller à ce que l’enfant ait accès à ce dont il a besoin sans se tourner vers l’adulte : ses vêtements, ses produits d’hygiène, ses chaussures, ses jouets, son matériel de dessin ou d’écriture…

Par ailleurs, lorsque tous les jouets sont fourrés pêle-mêle dans une caisse, l’enfant les sort tous sans s’y arrêter. Car son besoin n’est pas d’organiser l’activité en cherchant les jouets, mais de la réaliser. Mieux vaut donc limiter la profusion, éviter à l’enfant d’avoir à chercher, et assigner une place à chaque chose, de préférence visible, sur une étagère. Ainsi, l’enfant pourra opter pour l’activité qui correspond le plus à son besoin du moment.

Pas de cour de récré !

Dans une classe Montessori 3-6 ans, le mouvement est toujours possible, car il est construction. La maîtrise de soi et de sa volonté se développe en intériorité, et le moyen d’y parvenir, c’est l’exercice de son propre mouvement. Pour Maria Montessori, le mouvement « défoulement » n’existe pas : le défoulement n’est pas un mouvement libre mais l’effet boomerang d’un mouvement trop contraint. Rester assis, écouter, demande à un enfant de moins de 7 ans un effort qui n’est pas en adéquation avec ses possibilités. Lorsque l’environnement relâche cette exigence, ça explose, dans l’éclatement de la « cour de récré ».

Dire cour de « récréation », c’est opposer travail et loisirs. Or, où qu’il soit et quoi qu’il fasse, l’enfant est en train de travailler à grandir. Dans une école Montessori, le concept de « cour de récré » ne devrait pas exister. L’extérieur permet à l’enfant d’expérimenter sa force, son endurance, ce plaisir de courir pour courir, d’aller au bout de son corps. Un terrain naturel tout simple convient : herbe, arbres, terre, dénivelé… c’est parfait. Dans un environnement naturel, le mouvement des enfants se régule tout seul : observer, grimper, gratter, ramasser… Les cours d’école actuelles sont aménagées, designées, asphaltées, avec des structures de jeux. Comment a-t-on pu en arriver là ?…

Isabelle Séchaud, directrice pédagogique de l’ISMM-Lyon
Anne Bideault, rédactrice en chef de L’enfant et la vie

Crédits photo: Alexandre Mourot. Photo du tournage du film Le maître est l’enfant.

Pour aller plus loin

L’enfant est l’avenir de l’homme : la formation de Londres, 1946, Maria Montessori (Desclée de Brouwer, 2017, première traduction française)

La Découverte de l’enfant. Pédagogie scientifique, tome 1, Maria Montessori (Desclée de Brouwer, réédition)

Alexandre Mourot, film Le maître est l’enfant, 2016

Charlotte Poussin, la pédagogie Montessori, Que sais-je? Puf, 2017

L’enfant et la vie est un magazine trimestriel indépendant fondé en 1969 par Jeannette Toulemonde pour faire découvrir aux parents français le travail de Maria Montessori. Il propose des pistes et des ressources pour mieux comprendre l’enfant et l’accompagner sur son chemin, à toutes les étapes de sa vie.

l enfant et la vie


Retrouvez dans Bayam « Mes ateliers Montessori », une série d’activités inspirées de Montessori, à réaliser à la maison.

Cette série est proposée et réalisée par Charlotte Poussin, éducatrice Montessori AMI et auteure d’ouvrages de référence sur le sujet, pour  adultes et pour enfants, notamment les collections d’albums chez Bayard Ma journée Montessori (dès 18 mois) et Mes amis Montessori (3-6 ans)

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