Les enfants posent souvent des questions existentielles, auxquelles il est parfois difficile de répondre… Edwige Chirouter, professeure des universités en philosophie et sciences de l’éducation, nous explique comment la fiction peut aider les parents à aborder des thèmes complexes comme la mort, l’amour ou la guerre.

L’enfant et l’étonnement devant le monde

Tous les éducateurs, parents, grands-parents, enseignants, savent à quel point les enfants très jeunes s’interrogent sur le monde dans lequel ils grandissent. Les enfants sont dans une expérience humaine fondamentale et universelle : “l’étonnement devant le monde”.

Le philosophe grec Aristote affirmait déjà il y a plus de 2000 ans que ce qui distingue fondamentalement les humains des autres animaux, c’est justement cette capacité à s’étonner, à se poser des questions : “Est-ce que le premier homme avait une maman ?”, “on va où quand on meurt ?”, “pourquoi il y a des gens méchants ?“, “à quoi reconnaît-on qu’on est amoureux ?”, etc. La filiation, l’origine, la mort, les relations humaines, la morale, la justice, les sentiments sont des interrogations fondamentales et essentielles pour les jeunes enfants.

“Le Petit Prince” de Saint-Exupéry est comme la représentation métaphorique idéale de ce pouvoir de questionnements des enfants, explique Edwige Chirouter.

Des questions d’enfants qui embarrassent les adultes

Mais les adultes peuvent aussi se sentir désemparés face à ces questions qui touchent à des thématiques angoissantes et complexes (comme la mort, la guerre, la violence) et qui n’ont pas de réponses objectives ou scientifiques (les questions philosophiques sont par essence sujettes à discussion, à controverses et suscitent des explications complexes et plurielles). Il n’est donc pas toujours facile de les aborder sereinement.

La fiction pour penser le monde

Or, les récits sont d’excellentes médiations pour aborder et discuter avec subtilité et délicatesse de ces grandes questions. Car une des fonctions universelles des récits est justement d’aider les êtres humains à penser le monde. Il n’existe pas de civilisation sans fictions (légendes, mythes, contes, romans, théâtres, cinéma, séries) : se raconter des histoires est consubstantiel à la condition humaine.

Ces récits ont deux fonctions principales : ils peuvent parfois nous permettre de nous divertir, de nous faire oublier nos soucis et le tragique de la condition humaine (on lit ou on va au cinéma pour “se vider la tête” et surtout ne pas penser), mais ils ont aussi (et surtout) une autre fonction, plus profonde : nous permettent au contraire de penser le réel (on lit un livre ou on regarde un film en espérant que cette expérience va nous aider à donner sens au monde). Dans ce cas, les grands dilemmes soulevés par les histoires invitent à la réflexion et favorisent l’ouverture d’esprit.

La littérature est ainsi un immense laboratoire où les lecteurs de tout âge peuvent expérimenter une multiplicité de situations humaines qu’ils ne vivront jamais dans leur vie. Je peux par exemple me mettre à la place de Peter Pan et me demander pourquoi il est difficile et angoissant de grandir…

Le récit pour trouver la bonne distance émotionnelle

Autre élément essentiel, la littérature instaure une “bonne distance” affective pour penser sereinement des questions délicates ou angoissantes. Le vécu, l’expérience personnelle, l’actualité sont des supports de discussion très difficiles pour penser sereinement car on peut être submergé par les émotions.

Ainsi, l’incarnation par des personnages de fiction (Cyrano, Antigone, Peter Pan, le vilain petit canard) met la question dans une bonne distance affective. Parce que ces grands récits sont à la fois proches de nos préoccupations (on s’identifie aux personnages et à leurs tourments) et suffisamment éloignés de notre intimité pour ne pas nous obliger à les affronter directement. Ils sont une médiation pour oser discuter et penser sereinement.

Une littérature jeunesse qui répond aux interrogations des enfants

Avoir pris en compte les interrogations métaphysiques des enfants est une grande tendance de la littérature de jeunesse contemporaine. Depuis les années 1960-1970, la société occidentale contemporaine a reconnu aux très jeunes enfants le statut de sujet qui a besoin d’être guidé dans son cheminement existentiel et intellectuel. La littérature dite “de jeunesse” est toujours révélatrice de la façon dont une époque se représente le monde de l’enfance.

Quand une société considère l’enfant comme une petite chose ignorante et innocente qu’il faut protéger du monde et des préoccupations des adultes (et c’est cette vision de l’enfance qui a prévalu en Occident jusqu’à une époque très récente), on ne peut effectivement que lui offrir des récits très édulcorés, mièvres ou moralisateurs, sans aucune profondeur et subtilité littéraire ou philosophique.

En 1976, avec le succès de la “Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim convainc beaucoup d’éducateurs que les enfants se posent de grandes questions existentielles (sur la mort, la violence, l’amour) et qu’ils ont besoin de grands récits pour donner sens au monde et à l’existence.

Aujourd’hui, de très nombreux auteurs et éditeurs offrent aux jeunes lecteurs des récits subtils, poétiques, sans aucune mièvrerie et qui abordent de façon complexe des questions complexes. Nombreux sont aussi les ouvrages de philosophie pour enfants comme Les Petits Philosophes (BD, films et album) qui aident explicitement à réfléchir.

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La mort ou LA question délicate par excellence

La mort et les origines de la vie, par exemple, sont sûrement les premières et les plus importantes de toutes les questions. L’épisode “Photos de famille” du dessin animé Mily Miss Questions permet de les aborder avec beaucoup de délicatesse et d’humour. Dans cet épisode, la petite sœur de Mily, Lola, regarde l’album photo de sa grande sœur et s’étonne de ne pas se voir sur les images : où était-elle ? Qu’y-a-t-il avant la naissance ? On était où avant mais aussi où allons-nous après ? La fratrie de retrouve face à ces grandes questions métaphysiques des origines et de la mort.

Les deux sœurs partent à la recherche de réponses. Le grand frère, Luc, représente une vision matérialiste et athée : avant nous étions rien, poussière, et après nous retournerons à la poussière. Les voisins, eux, leur parlent des croyances et des récits dont les humains ont besoin pour canaliser l’angoisse et tenter de trouver du sens à l’existence. Leur amie Pénélope ne veut surtout pas entendre parler de ces questions parce qu’elles l’angoissent. Quant à leur mère, elle adopte une posture humaniste en leur parlant de l’importance de la pensée et du souvenir qui permet de perpétuer la mémoire de ceux et celles que l’on a aimés.

Dans un autre album, Capitaine Papy de Benji Davies, la mort est abordée comme un cycle naturel de la vie. Le récit transmet de façon poétique l’idée que le souvenir et la mémoire permettent de garder vivantes les personnes qu’on a aimées et qui nous ont aidés à grandir.

Lire pour penser et grandir

Ces histoires permettent donc à la fois d’aborder de façon sereine les questions délicates et universelles sur la condition humaine, de donner des repères aux enfants tout en n’esquivant pas leur complexité. Ces moments de convivialité, de tendresse, de profondeur, de poésie et de chaleur humaine aident ainsi les enfants à grandir sereinement dans le monde.

Edwige Chirouter est professeure des universités. Elle enseigne la philosophie et les sciences de l’éducation au sein de l’Université de Nantes et est également titulaire de la Chaire Unesco de Nantes: « Pratiques de la philosophie avec les enfants : une base éducative pour le dialogue interculturel et la transformation sociale ».


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