Le sujet des enfants face aux écrans s’invite régulièrement dans le débat public. Toutes les opinions côtoient la parole d’experts. Il est parfois difficile de s’y retrouver… Qu’en dit la science ? Nous avons interrogé Séverine Erhel, maître de conférences en psychologie cognitive et ergonomie à l’université Rennes 2. Selon elle, accuser les écrans de tous les maux est un prétexte pour éviter de regarder les véritables raisons des problèmes.
Est-ce que tous les écrans sont dangereux ?
Je préférerais qu’on se demande quelles sont les activités pratiquées sur écran qui peuvent nuire à l’utilisateur. Chez l’adulte, il y a, par exemple, l’alternance des tâches (multitasking). Nous avons conduit une recherche à l’université et nous avons constaté que regarder son téléphone ou consulter ses e-mails pendant qu’on assiste à un cours a des effets délétères sur l’apprentissage. Chez l’enfant, passer beaucoup de temps devant les écrans peut limiter celui consacré à d’autres activités enrichissantes. Et un accompagnement parental peut être nécessaire pour certains contenus, mais en soi, les écrans ne sont pas dangereux.
« Un accompagnement parental peut être nécessaire pour certains contenus, mais en soi, les écrans ne sont pas dangereux. »
Quelles sont les activités sur écran qui peuvent être bénéfiques ?
Je pense en particulier aux activités qui servent de support à l’apprentissage. À l’Université Rennes 2, nous travaillons sur la question des serious games, des contenus éducatifs qui utilisent les ressorts ludiques du jeu vidéo. Et nous avons pu constater qu’ils permettent de mieux apprendre. De même, nous travaillons en lien avec l’association les P’tits Doudous qui utilise des écrans pour réduire l’anxiété des enfants avant une intervention chirurgicale. Selon eux, cet accompagnement, au moyen d’un jeu vidéo spécial, permet de réduire de 80 % les anxiolytiques de la prémédication.
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Pourtant, certaines études montrent une baisse du QI chez ceux qui utilisent trop les écrans…
Sur son blog, Franck Ramus, chercheur au CNRS, analyse ces études qui ont été très largement reprises dans la presse. Il démontre que si les enfants qui passent plus de 2 heures par jour devant un écran ont effectivement en moyenne quelques points de QI en moins, cette différence est trop faible pour que cela représente un problème sanitaire. Et il montre assez lucidement que de nombreux autres facteurs que les écrans peuvent expliquer cette variation minime.
Que dit la science à propos des écrans ?
Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Nous avons beaucoup d’études dans lesquelles on essaie de voir s’il y a un lien statistique entre le temps passé devant un écran et d’autres variables (attention, dépression…). Mais quand un lien existe, il n’est pas forcément causal : corrélation ne vaut pas causalité. Il est tout aussi possible que les enfants qui souffrent de troubles se réfugient plus facilement devant les écrans. De même, ces études se focalisent beaucoup sur la notion de temps passé devant un écran. Or celle-ci ne signifie pas grand-chose : il faut aller voir du côté des activités (tous les contenus ne se valent pas) pour se prononcer et avancer. Nous avons donc besoin de nouvelles recherches de qualité pour arriver à une forme de consensus scientifique. Aujourd’hui, nous en sommes très loin.
« Nous avons donc besoin de nouvelles recherches de qualité pour arriver à une forme de consensus scientifique. »
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Pourquoi l’écran est-il montré du doigt, alors ?
Je vois plusieurs facteurs possibles. De nombreux praticiens voient arriver des enfants qui présentent des difficultés et qui ont par ailleurs des temps de consommation d’écran assez élevés. Certains praticiens attribuent ces difficultés aux écrans alors que d’un autre côté, il y a peut-être beaucoup plus d’enfants qui consomment autant d’écrans qu’eux et qui n’ont aucune difficulté. Je ne nie pas que certains enfants passent trop de temps devant les écrans mais ce phénomène me semble davantage lié à un problème de responsabilisation parentale et/ou des difficultés rencontrées par les parents.
Que voulez-vous dire ?
Si un enfant passe trop de temps devant les écrans, le problème n’est peut-être pas l’écran. Les parents rencontrent peut-être des difficultés économiques ou personnelles qui expliquent le recours aux écrans pour occuper leurs enfants. Dans ce cas, priver l’enfant d’écran ne changera rien. Ce sont les parents qu’il faut aider. De la même façon, certains enfants peuvent rencontrer des difficultés de type psychologique qui les poussent devant les écrans. On se focalise donc sur « les écrans », un mot volontairement vague, pour masquer les difficultés des parents ou des enfants, des personnes qu’il faut aider et/ou responsabiliser.
Si les écrans sont utilisés de manière raisonnée, ils peuvent même avoir un effet bénéfique sur les enfants. Je parle d’activités éducatives ou récréatives, surtout en présence des parents. Une étude récente du Professeur Przybylski de l’université d’Oxford montre qu’un usage raisonné peut, par exemple, avoir un effet bénéfique sur le bien-être social et émotionnel des enfants. Cela reste évidemment à confirmer par d’autres études.
Et pour les parents, quel serait le meilleur usage de l’écran avec leur enfant ?
Les activités sur écran doivent d’abord être cadrées. Il faut annoncer la nature et la durée estimée de l’activité, car un jeune enfant n’a pas encore la maturité de s’auto-réguler. Je parle souvent d’usage raisonné : il s’agit en fait d’un usage qui s’inscrit dans un ensemble d’activités différentes dans la journée.
« Je parle souvent d’usage raisonné : il s’agit en fait d’un usage qui s’inscrit dans un ensemble d’activités différentes dans la journée. »
L’enfant utilise un écran, puis il va au parc, lit un livre, sort ses jouets… Les parents doivent accompagner leur enfant devant les écrans. Laisser un enfant seul devant YouTube ne lui apportera rien. On trouve de bons contenus sur YouTube, mais les algorithmes de recommandation le guideront rapidement vers des vidéos inadaptées. À mon sens, il faut guider les enfants à travers les usages du numérique, leur transmettre cette culture pour les aider à les dompter et à se prémunir contre certains effets délétères (fake news, captation de l’attention, collecte de données commerciales…). Cette tâche ne revient pas seulement aux parents, mais aussi aux acteurs du système éducatif. Certains (enseignants, documentalistes…) le font mais sans réels moyens dédiés ; il faut que des moyens soient aujourd’hui engagés sur ces actions.
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Propos recueillis par Noredine Benazdia