Les écrans sont partout ! Certains les accusent de tous les maux et d’autres affirment qu’ils sont inoffensifs. Afin d’y voir plus clair, nous avons choisi d’interroger Nawal Abboub, docteure en science cognitive, co-fondatrice de Rising Up et enseignante à l’École normale supérieure. 

Les contenus numériques peuvent-ils favoriser l’apprentissage chez l’enfant ?

Oui, non seulement les contenus numériques peuvent nous aider à apprendre, mais ils peuvent nous aider à apprendre mieux. Ils permettent par exemple à l’apprenant d’avoir un retour immédiat sur ses erreurs ou ses progressions.

C’est plus compliqué à mettre en œuvre quand on est en groupe. L’apprentissage plus individualisé grâce au numérique permet de mieux adapter les contenus en fonction du rythme de chacun. Et cela ne peut que favoriser l’apprentissage !

Est-ce prouvé ?

Oui, mais attention, tous les contenus ne se valent pas. Tout simplement parce que l’information n’est pas présentée de la même manière. Il existe des contenus où l’apprenant est passif comme la télévision ou les vidéos. D’autres, avec une forte interactivité, nécessitent que l’apprenant soit actif et vigilant.

Cela a été étudié en laboratoire. Nous avons pu vérifier que la manière de présenter des contenus jouait un rôle important dans la qualité de l’apprentissage et en terme de mémorisation. On va regarder l’effet de l’interactivité, ce que nous appelons la contingence.

La contingence, c’est par exemple regarder en même temps le même objet. Si un personnage virtuel regarde un objet et le nomme tout en réagissant au regard de l’enfant, cela va faciliter l’apprentissage de nouveaux mots chez le bébé.

Même avec les bébés ?

C’est testé chez des enfants préverbaux de 12 mois. On regarde chez le bébé comment ces indices de communication, et leur contingence, va faire la différence en terme d’apprentissage. S’ils ne sont pas présents, aucun effet d’apprentissage n’est détecté. Mais si ces indices sont présents, les bébés apprennent de nouveaux mots !

Mais les spécialistes recommandent pour les enfants un minimum d’interaction avec l’écran et un maximum avec le monde dans lequel ils évoluent…

On confronte souvent les deux, alors qu’ils peuvent être complémentaires. Chez l’enfant, les interactions sociales naturelles sont très puissantes. Et on ne reviendra jamais là dessus. En revanche, nous avons aujourd’hui des contenus et des technologies qui permettent non seulement de délivrer des informations d’une certaine manière mais aussi de réagir directement à ce contenu. C’est cette interactivité, qui fait toute la différence dans l’apprentissage.

Notre rôle est aussi d’accompagner l’enfant dans sa découverte du monde actuel. Plus l’enfant est petit et plus il doit être accompagné. Il ne faut jamais le laisser seul devant un écran. Les recherches actuelles nous recommandent plutôt d’être en covisualisation avec un adulte à ses côtés pour l’aider, le guider. Il n’est plus possible aujourd’hui d’opposer écran et interactions naturelles. Car les écrans sont parmi nous et on peut faire des choses bien avec.

Plus l’enfant est petit et plus il doit être accompagné. Il ne faut jamais le laisser seul devant un écran. Les recherches actuelles nous recommandent plutôt d’être en covisualisation avec un adulte à ses côtés pour l’aider, le guider.

Mais n’est-ce pas une sorte de résignation ? N’est-ce pas choisir la facilité ?

Chaque innovation a ses contradicteurs et ses peurs. C’est humain. Dès qu’une chose nouvelle apparaît, elle génère de la peur mais aussi de l’envie. Les innovations technologiques qui nous entourent sont et seront indispensables. Nos enfants seront amenés à s’en servir dans leurs futurs métiers. Ces outils nous accompagnent au quotidien et il est de notre devoir d’accompagner nos enfants dans leurs usages.

Mais pour cela, il faut bien comprendre le fonctionnement de notre cerveau afin de bien les utiliser. Ceci vaut autant pour l’adulte que pour l’enfant ! La facilité, c’est de laisser un enfant seul devant la télévision car il est dans une situation néfaste pour son développement. Et on ne choisit pas la facilité quand on l’aide à bien utiliser un outil numérique. On l’éduque.

Pourtant, un livre récent cite une étude qui dit qu’à partir d’une heure d’écran par jour quelque soit l’activité réalisée, la partie frontale du cerveau ne se développe pas…

Pour l’instant, il n’y a pas de consensus scientifique. Pire, les études se contredisent. Car actuellement, on ne trouve que des corrélations et elles sont très difficilement interprétables.

Par exemple, un enfant qui passe beaucoup de temps devant un écran a peut-être un terrain qui le rend plus sensible. Beaucoup de facteurs (environnementaux, génétique, etc) peuvent jouer sur cet effet. En bref, on ne sait pas ce qui cause quoi.

Ce que l’on sait, c’est qu’aucune étude scientifique n’a prouvé que l’écran à lui seul cause des modifications structurelles dans notre cerveau.


Ne faudrait-il pas faire valoir le principe de précaution ?

Nous ne pouvons pas donner de fausses précautions. À part le fait d’éviter de passer excessivement du temps sur écran, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des discours alarmistes. D’ailleurs l’année dernière un groupe de chercheurs américains a publié une lettre ouverte pour dénoncer cela.

Il vaut mieux éviter la malinformation et les peurs irrationnelles. Il faut plutôt informer sur le temps d’écran passif qui a des impacts négatifs sur les plus jeunes, sur le langage ou sur le développement moteur. Il faut informer les parents sur les types de contenus qu’ils donnent à leurs enfants.

Car les écrans interactifs peuvent être utiles dans les apprentissages et tous les contenus ne se valent pas. Surtout passons de bons moments avec nos enfants avec ou sans écrans !

Nawal animera la conférence Le confinement vu par les enfants, à la lumière des neuro-sciences . Un moment d’échange convivial pour comprendre le présent et préparer l’avenir en partenariat avec confKids et Rising Up qui se tiendra en ligne le 30/05 prochain.

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Propos recueillis par Norédine Benazdia